Mail à Livy
Texte publié dans Obscène en janvier 2005
Revue underground grotesque et inutile

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J'avais arrêté d'exposer en 1989, je ne supportais plus l'ego, le narcissisme, les numéros des artistes, les gens qui gravitent autour, les théories fumeuses. Ces artistes qui crachent sur le fric qui dégueulent sur la réussite et qui ne rêvent que d’être célèbres, importants, reconnus, sachant que la reconnaissance ne passe que par le fric. Alors tu as vendu ? Si tu ne vends pas tu n’es rien. L’art, truc de bourgeois, d’église, de pouvoir.  Il n’y a pas de place pour tout monde !  Il faut jouer des coudes, marcher sur la gueule du copain, sucer les politiques pour bouffer de la subvention, reconnu, en être de cette caste supérieure... Il n’y a pas si longtemps les musiciens bouffaient à la cuisine et les acteurs on les enterrait la nuit... Pour faire plaisir à ma femme je m'y suis recollé. En août 2003 une copine m’avait mis en vedette dans une expo d'art contemporain, qu’elle organise tous les ans. Cela c'était très bien passé. J'étais content... Peu après dans ma messagerie on me dit qu’on aime bien ce que je fais... Est-ce moi qu’on appelle de l’autre côté du fleuve... J’enchaîne... Plutôt jolie la galeriste, je craque facile sur l’exotique, certainement quelques relents colonialistes... On se signe un contrat bidon, pas cher.

Premier vernissage sympa, pas de vente mais suis-je là pour vendre ? Quelques autres artistes me caressent   la croupe, c’est la loi du genre... Je fais le mondain, je cause bien quand on me parle. Je m’enfile mes 500 bornes pour rentrer me rejouant le film dans la bagnole, je n’ai pas envie de dormir. Le mois suivant au deuxième vernissage beaucoup de jeunes sont venus boire un coup. J’ai des peintures posées à même le sol, ils discutent le verre à la main. Quelques coups de lattes dans mes grandes œuvres, excuse moi peinture. Je ne vois pas beaucoup de gueules d’acheteurs. Je suis descendu... mes peintures au sous-sol, normal il faut tourner. Je m’ennuyais. Ma femme aussi. Je me raccroche à quelques têtes connues. Un internaute à qui j’avais annoncé ce vernissage se présente. Couple sympa. La galère se transforme en plaisir, ce n’est pas tous les jours que les ondes passent bien... Voilà, vernissage réussi. On se refait nos 500 bornes tranquilles.

Depuis ce jour la belle exotique ne me parle plus au téléphone, elle m'évite, je ne pige vraiment pas. Elle va bientôt dire que je suis un con comme elle a qualifié d'autres artistes. Çà c’est vrai que je suis un con. Une nana m'a écrit, qu’elle serait en procès avec elle, elle n'aurait pas récupéré ses toiles. Je ne l’avais pas crue. Je suis à cinq cents Km et je pourrais en faire déjà 20 pages sur le lieu... Je me construis mon petit scénar... Si cela se termine mal je vais monter un dossier de presse et l'envoyer partout dans la région, à tous les journaux, aux politiques qui ont cautionné ce projet... je plaisante... Voilà où j'en suis arrivé et j'ai payé pour cela... et peut-être que je me fais du cinoche... Que Rosalie est adorable.  Quand je dis que je suis un con...

...Rosalie... J’y pense, elle et son petit bisness qui fonctionne sur le dos de petits artistes. Çà je peux te garantir que vendre les peintures ce n’est pas sa priorité. Son fonds de commerce est le droit d’accrochage. Je le savais, je connais le système.  J’avais un besoin urgent de passer dans une galerie. De plus c’était loin de chez moi, tranquille, peinard, pas de pression. Ben j’ai gagné. Bon je te laisse. Toi au moins tu sais : galerie : attention on ne sait pas... Et si je me fais du cinoche... On verra bien comment se termine le scénario...

Tu as raison il est préférable d’avoir un agent qui marche au %. Il suffit de trouver le bon. Ou seulement d’en trouver un.

Et pourtant dans ce milieu de l’art il y aussi des gens sympas, les îlots de vrais amateurs, de vrais artistes, de vrais galeristes...

Le métier de galeriste c’est de vendre des artistes aimés. Il doit y avoir une relation affective irrationnelle, effective, non ? Ces vrais galeristes ne demandent pas de droit d’accrochage, ils te prennent 50 % et c’est bien. Il te protège.

Je n’ai jamais eu la chance de travailler avec ces gens là. C’est ma faute. Pas besoin de consulter de psy, je vais encore y laisser des sous ou c’est une question de karma ou une question de talent... Ah si j’avais un gourou, pas un voleur d’âme, non un vrai gourou qui est un miroir et te montre ce que tu es en bien et te permet de trouver le bon chemin... connerie... Je suis de la génération des communautés, des chèvres et de la route de l’Inde. Il y a quelques restes. Et je me demande si je ne vais pas ouvrir d’une manière ou d’une autre mon atelier au public. Mais il faudrait que je l’aménage, du fric, du temps, de l’énergie. Et je ne me vois pas trop faire le vendeur... Je vous fais un Turner 100 F, 100 F le Turner, un Gauguin 150 F... cela me rappelle un film débile que j’ai bien aimé.

Rencontre d’un soir... hasard ou pas ... je t’ai rencontré, tu as gagné un texte, garde le... si un jour je suis célèbre... je déconne... on avait à notre table Fine de Claire, un médium, elle n’avait pas vu, tu pourras lui dire...

Faut que je te termine mon histoire... Je téléphone tous les jours à la galerie. Je veux parler à Rosalie. Je veux, je veux... Pas là... j’ai fait la commission... je vous comprends... je vais lui dire... Le stress monte, la colère. Je ne comprends pas. Et un soir, elle bouffait dans un mac do me dit-elle, charmante, adorable... Je lui ai promis de revenir dans sa galerie, en me disant on verra. On a pris rendez vous pour récupérer au complet les peintures, pas une de vendue.  On va se faire nos 1000 bornes, c’est un jeu... Au fait j’ai une bonne adresse, pas une galerie de merde de province, non à Paris... Ils te font une expo perso avec affiches et vernissage pour 6800 Euros. Ne compte pas vendre, quoique toi...  çà fera bien dans ton book surtout que toi, je sens que tu as du talent ouais c’est bon ce que tu fais, çà va marcher... j’aime.

Et si le jour où je dois aller chercher les peintures la galerie était fermée...

Joseph Dolo 12 mars 2003





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