Michel
Mortier - Maître de
Conférences honoraire, historien, critique d'art, musicien.
Correspondance - 2015
Parmi les artistes à inscrire au
tableau d'honneur de la
peinture, il y a les très grands visionnaires, mais aussi ceux
qui, tout en restant fidèles à leur nature et à leur marque
stylistique, sont capables d' évoluer en reflétant les problèmes
de notre monde. Alain Ponçon est de ceux-là: si, dans sa
jeunesse, le réalisme ne lui était pas étranger, il a opté pour
une manière plus conforme à ses données propres qui le rattache à
l' art singulier, ce qui ne veut pas dire naïf pour autant. Derrière
l' apparence parfois trompeuse de scènes souriantes et d'un coloris
aux vivacités crues , il présente l' individu ou le couple
dans un cadre essentiellement familier où l' on peut certes
retrouver le plaisir du quotidien, mais où l'on perçoit
souvent l' angoisse voire le tragique de situations domestiques
à l' image de notre condition humaine.
Un premier degré de son évolution fut, il y a quelques années
déjà, le recours à quelque grand mythe dont le
personnage de Don Quichotte fut l'éminent représentant. Désormais,
la palette vibre davantage, refuse les à-plats, le cadre
s'élargit, devient témoin de notre monde contemporain : l' individu
peut être livré à la multitude, comme le montre l'
accumulation de têtes sans corps. Il est également perdu dans des
espaces urbains ou naturels riches de signes parfois
imperceptibles et contradictoires, ceux de la profusion
technologique et du dénuement spirituel qui nous accablent et
risquent de nous faire basculer dans un monde déshumanisé où
la solitude est un thème majeur qui pose le problème de notre
existence même.
Interview de la revue artistique
l’Aréopage. Préparation de l'article publié en 2015 -
Visite de l'atelier par l'équipe de "L'Aréopage"- Cette revue est
aujourd'hui seulement éditée sur internet avec le Titre de L'ego du moi (s)
Alain Ponçon né en 1947 dans une école à Moigny sur école près de Milly
la forêt, nous déclare ne faire partie d'aucune école... Quand on
arrive au monde dans un lieu aussi chargé en courant artistique :
l'école française de Barbizon, le nouveau réalisme avec Tinguély et son
cyclope, l'art brut avec le sculpteur Chomo, Jean Cocteau et sa maison
, Pierre mac Orlan et sa générosité, Comment choisir ? Eh bien , en
faisant du Alain Ponçon, évidement.
L'Aréo : Avant d'entamer la
visite d'atelier peux -tu nous d'écrire cette démarche qui t'a amené à
peindre ?
A.P: Je ne sais pas. C'est toujours difficile de parler de
soi. J'ai plusieurs versions, comment définir à quel moment on entre
dans la peinture. Je vais vous offrir la plus misérabiliste. J'ai perdu
ma mère à l'âge de 6 ans, alors je me suis réfugié dans la couleur.
Mais est-ce bien l'explication?
J'ai commencé à prendre des cours à 12 ans et à l'âge de 18 j'ai
fréquenté Chomo, Pierre Mac Orlan, Marc Lenoir paysagiste et curé de
choc célèbre pour ces extravagances, Jean Pierre Chabrol et beaucoup de
personnes qui gravitaient autour d'eux. Alors, je faisais l'artiste,
avec d'autres.
L'Aréo: Mais tu faisais un métier à côté?
A.P: A cette époque, on pouvait vivre assez facilement de
petits boulots.
L'Aréo: Peux-tu nous en dire plus sur Chomo?
A.P: Deux amies me l'ont présenté, je me souviens de cette
première visite à vélo car à l'époque je n'avais pas de voiture comme
beaucoup de jeunes. Je l'ai fréquenté jusque dans les années 73 et un
jour on s'est fâché, je l'avais contredit! Voici ma première vraie
toile, je suis rentré directement dans l'art moderne du 20ième siècle
sans aborder la peinture « classique », je faisais déjà du
«Chomo». Il ne me reste que peu d’œuvres de cette période. Quand je
suis rentré de l'armée, mon père avait tout jeter, plus de cinquante
toiles... Pourtant il était enseignant et amateur de peinture. Il me
reste aussi 2 ou 3 assemblages à la manière «Chomo». A l'époque il
faisait beaucoup d’œuvres en plastique fondu et même des télévisions
ramollies au chalumeau. J'ai perdu le contact avec lui mais Laurent
Danchin, un ami universitaire qui a écrit un livre sur lui me donnait
des nouvelles de lui. Et puis la vie d'artiste est devenue difficile et
je suis rentré dans le système classique à l'EDF jusqu'en 2000. Je n'ai
pas arrêté de peindre mais ma véritable activité artistique a commencé
à cette époque avec la création de collectifs. (Roger Chomeaux dit
Chomo, 1907- 1999, artiste, sculpteur, fondateur du village d'art
Préludien à Achères la forêt, Seine et Marne ).
L'Aréo: Tu en as créé beaucoup?
A.P:Deux principaux et un troisième avec un ami. Tout
d'abord «Synchronicales» qui s'inspirait des idées de Jung sur le
hasard, les simultanéités. Ce collectif était composé d'artistes que je
ne connaissais pas, choisis au hasard sur internet. L'idée étant d'être
au moins six ou sept pour que chacun prenne en charge une exposition
dans sa région. Au bout d'un certain temps , l'égo des artistes a été
le plus fort et j'ai été obligé pour continuer de reprendre
«Synchronicales» d'une manière autocratique.
L'Aréo: Ce collectif existe encore?
A.P: Bien qu'en stand by il existe toujours avec juste un
carré dur qui tient bon dont Michel Liénard, artiste belge et Bruno
Anthony avec qui je dirige le troisième collectif 162 97. Le deuxième
est «Nainchronicales» dont l'idée vient justement de celui-ci qui m'a
dit un jour «j'ai envie de relooker des nains»... Et le hasard ou la
synchronicité ont fait qu'un magasin du Gault st Denis vendait un stock
de nains de jardin. On les a acheté, distribué au copains et voilà,
«Nainchronicales» était né. Maintenant, la démarche a évolué car
certains nains sont complètement fabriqués par les artistes. Il ya
encore régulièrement des expositions «Nainchronicales»
L'Aréo: Quel enseignement tires-tu du fonctionnement de
ces collectifs?
A.P:Toutes ces histoires, belles ou ayant mal tournées
m'ont désinhibé parce que quand tu parles des autres, tu parles de toi
d'une manière moins égoïste. Si je n'avais pas fait «Synchronicales»,
je ne tiendrais pas le même discours et n'aurait pas eu toute cette
démarche enrichissante avec les autres.
L'Aréo:C'est vrai que beaucoup d'artistes peinent avec
leurs relations avec l'extérieur car si nous avons un métier public
nous avons pour la plupart beaucoup de mal avec l'expression verbale
quand il s'agit de parler de notre travail.
A.P: la seule chose qui compte vraiment c'est d'être total
devant l’œuvre en cours, dans l'atelier «un artiste qui ne va pas
jusqu'au bout de ses rêves, de ses envies.... autant qu'il reste
couché».
L'Aréo: Après avoir visité ton site, j'en viens à cette
question par rapport à ton art. Elle n'est pas technique mais
gestuelle:Est-ce que dés le départ tu as peint comme on peut le voir
sur celui-ci ou avec une total inhibition par rapport au style et à ce
que tu ressens? Les photos sont toujours trompeuses sur certaines
choses.
A.P: Eh!bien, je vous invite à voir l'atelier pour
approfondir cette impression.
L'Atelier, une petite maison basse
au fond du jardin, colombage et mur en terre, le temps y est en
suspension. Voici ma grotte, comme l'a nomme Alain. Des peintures
partout, bien rangées, empilées, des tonnes de dessins, des tubes de
peintures en multitudes, deux fauteuils et un chevalet et juste assez
de place pour se faufiler dans les trois petites pièces qui l'a compose.
A.P «Attention à la peinture,
elle n'est pas sèche, j'en ai trois en cours en ce moment»
L'Aréo: On se rend bien compte de la richesse des
matières, les frottis, les sous-couches que tu emploies, comment
travailles tu?
A.P: de préférence le matin et suivant l'avancement du
tableau plus longtemps car au début, je peins à l'acrylique pour la
rapidité du geste et du séchage. Après une esquisse sur un carnet,
j'attaque la toile. Je finis toujours à l'huile pour la transparence.
En réalité, mes peintures se font surtout dans le fauteuil, là dans la
réflexion. Ma peinture est aussi un travail d'écriture. Cette écriture
est authentification, c'est ma force.Je ne suis pas novateur mais on
peut reconnaître en disant c'est du Ponçon!
L'Aréo: Dans quel style de peinture te sens -tu en famille?
A.P: on me prend souvent pour un naïf, mais je suis tout
le contraire. Toutes mes peintures se réfèrent à l'histoire de l'art,
je ne suis pas dans le cadre de la «peinture spontanée». Je me sens
très proche des expressionnistes, un de mes artistes préférés est Ernst
Kirchner qui s'est suicidé après que les nazis l'aient inscrit sur leur
liste de «l'art dégénéré» en 1937. Lorsque je dessine par contre ma
démarche se rapproche de l'écriture automatique.
L'Aréo: en ce moment sur quelles peintures travailles-tu?
A.P: J'ai trois séries sur lesquelles je travaille
actuellement, une série urbaine avec une vision issue des films du
cinéma italien des années 60. Ces tableaux représentent des immeubles,
du vide, des terrains vagues, des casses automobiles et des personnages
dynamiques, de passage. Ces « Univers de banlieue » possèdent
pour beaucoup un caddy, objet emblématique de ces cités abandonnés,
exilées qui servent à faire les courses pour les nantis, de jeux pour
les ados en mal de vivre. Je le représente toujours vide parce qu’il
est chargé des rêves du personnage, des rêves qui ne sont pas liés à la
consommation mais symboliquement «présente».Ce sont des peintures très
actuelles car nous assistons au retour des bidonvilles en France.
L'Aréo: très forte cette série «Caddy» si je peux me
permettre; encore plus fort ces yeux qui nous regardent sans nous voir.
A.P: là, c'est un gros travail en perspective. Ces
peintures grands formats sont faite pour être accolées et couvrir une
salle complète, je doit en faire une vingtaine.
L'Aréo: cette foule silencieuse qui vous regarde est très
angoissante et limite obsessionnelle, l'effet final sera sûrement très
impressionnant. Là, on est vraiment à la limite de l'art brut.
A.P: Je peins aussi régulièrement des scènes de bistrot
moins éprouvante, plus réaliste et plus accessible au public.
L'Aréo: Bien qu'elles fassent toujours ressortir une
certaine angoisse, les personnages y sont plein de lassitude, à la
limite de la dépression, les couleurs elles, vives, éclatantes prouvent
le contraire ou tout du moins invitent à l'espoir. Il y a quand même un
vrai fil conducteur entre ces trois séries, celui d'un peintre témoin
de son temps qui représente sa société en perdition avec humour et
sarcasme comme beaucoup de grands peintres l'on fait à leur époque.
As-tu beaucoup de projets en cours?
A.P :Bien sur, en dehors du travail d'atelier, je
m'occupe de mes expos avec entre autre une exposition internationale
collective en Italie mais plus çà va plus le temps passe plus je suis
dans l'urgence.
Chomo disait qu'il en était à sa vingtième vie mais que celle de
peintre était haut placé dans la hiérarchie de celles-ci. En aurai-je
une autre pour continuer ce que je n'aurai pas eu le temps de faire.
|
Marie Hélène
Calvignac - 8 avril 2013 correspondance
Je suis sensible à l'univers feutré et
voilé d’Édith, quant à celui d'Alain, il m'étonne, me
surprend; son monde saturé fonctionne comme un mur sur lequel il
accroche des fantasmes chaotiques portés par des couleurs magnifiques,
dans son antre, les masques aux regards hallucinés semblent une menace,
ils grimacent avec force, puis, soudain, au détour d'un empilement ce
sont des oiseaux d'un autre monde qui s'envolent c'est un beau voyage
dont les virages périlleux réveillent l'imaginaire, à la fois d'ici et surtout d'ailleurs. |
Martine
Gasnier, écrivain, critique d'art -
Directeur de l’office départemental de la culture de l’Orne. Elle est à
l'origine de l'exposition de l'espace culturel du Houlme, à Briouze.
Exposition organisée par l'office départemental de la culture de
l'Orne. Texte écrit pour la présentation de l'exposition 14/11/2012
–http://martine.gasnier.pagesperso-orange.fr/
Sans nul doute, la peinture d’Alain Ponçon
évoque tout ensemble le fauvisme et l’expressionnisme par ses couleurs
éclatantes et l’art brut par sa forme. On serait tenté d’égrener des
noms d’artistes connus et reconnus à cause de cette manie que l’on a de
convoquer les références. Pourtant nous sommes là face à une œuvre
singulière peuplée de personnages qui nous regardent de leurs yeux
minuscules perdus au fond d’orbites immenses et nous livrent leur cœur
avec confiance. Car sous l’apparente simplicité d’anecdotes de la vie
de tous les jours, l’artiste nous parle d’angoisse, de solitude mais
aussi de tendresse. Il y a quelque chose de tragique dans cette «fin
d’année au bistrot» où un couple assis devant son verre semble conjurer
la vacuité de l’attente. C’est une fête forcée et dérisoire d’où
la joie est exclue. Ces deux là n’ont pas d’amis, pas plus que ces
«copains» cravatés qui demeurent irrémédiablement seuls en face de nous
ou ces êtres qui ont abandonné leurs rêves sous le chapiteau du «grand
cirque». Pourtant, l’œuvre du peintre connaît aussi de beaux moments de
sérénité quand des personnages, des femmes surtout, accompagnées d’un
chat jaune, se livrent à de paisibles occupations: l’assemblage d’un
puzzle près du sapin de Noël au pied duquel des cadeaux attendent les
invités, un couple qui arrose son jardin ou une femme qui berce dans
ses bras son petit félin à l’expression douce et enfantine. Nous nous
embarquons, avec Alain PONÇON, pour un univers où les hommes nous
ressemblent, ils font partie de notre famille et nous éprouvons pour
eux de l’empathie, pour leur créateur aussi, lui qui s’est représenté
en train de peindre, cloué dans un fauteuil roulant poussé par une
femme aux rondeurs troublantes. Sur la toile ne demeure qu’une paire
d’yeux interrogateurs comme si le vieil artiste n’avait conservé de son
travail que l’essentiel: une question sans réponse.
Emmanuel
Ray, metteur en scène – Programme du Théâtre en
Pièces (10 aout 2011)
Je suis sensible à l'univers feutré et
voilé d’Édith, quant à celui d'Alain, il m'étonne, me surprend; son
monde saturé fonctionne comme un mur sur lequel il accroche des
fantasmes chaotiques portés par des couleurs magnifiques, dans son
antre, les masques aux regards hallucinés semblent une menace, ils
grimacent avec force, puis, soudain, au détour d'un empilement ce sont
des oiseaux d'un autre monde qui s'envolent c'est un beau voyage dont
les virages périlleux réveillent l'imaginaire, à la fois d'ici et surtout d'ailleurs.
Luis Porquet, poète,
écrivain, parolier, journaliste et critique d'Art. Article du 30
novembre 2011
Salon
CREA de St-Ouen-de-Thouberville (27) le courrier de l’Eure
L'œil est spontanément capté par la
vigueur et les audaces de la palette d'Alain Ponçon. Son univers, a
priori plein de gaîté et crépitant de fantaisie, semble pourtant hanté
par une étrange nostalgie, celle d'un monde révolu, peut-être ? Quand
on observe attentivement ses personnages, on devine en eux un
questionnement, comme une angoisse existentielle, un malaise qui masque
son nom. La cuisinière verte de mon enfance; Bord de mer et Le Puzzle,
assez complexe à déchiffrer comme le laisse entrevoir son titre sont
des séquences où pointe une certaine émotion. A genoux, petite toile
qui représente une jeune fille, présente un caractère expressionniste.
En dépit de sa sobriété, elle n'est pas la moins forte du lot.
Michel
Mortier - Maître de
Conférences honoraire, historien, critique d'art, musicien. texte pour
l'exposition personnelle galerie Axmann - le 03 10 2010
La
couleur jouxte la couleur, couleurs vives issues du fauvisme et de
l'expressionnisme. Dans chaque tableau triomphent le rouge et le
jaune: ils investissent des personnages généralement chauves et
stylisés jusqu' à devenir des poupées de chiffon qui expriment en
surface l'insouciance des premières années, la joie de vivre dans
la simplicité du quotidien, entre art brut et art naïf.
Or,
Alain Ponçon joue de l'ambiguïté jusqu'à nous égarer : au
premier regard, le spectateur voit ce qu' il aperçoit chaque jour,
deux amoureux qui se donnent une main juste esquissée ou qui se
bécotent de toute la pulpe vermillon de leurs lèvres dessinées
seulement de deux gros traits rouges, une jeune fille souriante qui
tient entre ses jambes son chat, lui aussi souriant d'une
satisfaction érotique, un couple adulte assis devant sa télévision
ou attablé devant deux verres stylisés, elle en robe d' un rouge
ridiculement kitsch, lui en bleu de travail désespérément bleu
marine, une lectrice faussement attentive à sa lecture, une
dame-enfant assise dans un énorme fauteuil étouffant d'ampleur et
de couleur faisant une réussite sur une table sans style d'où a
glissé une carte, une dame de cœur, deux enfants complémentaires
par leur sexe et la couleur de leurs chevaux de bois fixés dans leur
balancement parallèle... Dans l'abondante production d'Alain Ponçon,
on pourrait multiplier les exemples où la banalité des scènes
évoquées et la naïveté du dessin à la fois simple et grossier,
mais de toute façon volontairement puéril, rend malgré tout les
personnages attachants parce que vus avec tendresse.
Et
pourtant, il ne faut pas longtemps pour voir dans cette peinture
autre chose que joie de vivre, plaisir de peindre, jouissance du
quotidien, car, malgré tout, on sent que les yeux régulièrement en
forme de soucoupes sombres disent quelque chose avec une éloquence
cachée: ils fixent les spectateurs d' un regard d' angoisse qui
béent de solitude, d' enfermement et de désamour, tout cela issu
peut-être du passé, celui de l' enfance. Car si cette peinture nous
montre à l' évidence une forme de nostalgie, celle d' une enfance
véritable que l' artiste recherche après-coup et revendique comme
thématique essentielle de son œuvre, les adultes-enfants évoqués
d' une manière où l' humour n' est pas absent, occupent le premier
plan d'espaces domestiques souvent clos où chaque personnage, en la
dissimulant derrière un sourire, montre une solitude, qui peut être
également à deux, à trois, à quatre etc... L' espace est clos par
un arrière-plan parfois sombre qui bloque toute issue, parfois plus
clair, mais alors c'est une cloison sans fenêtre, et le carrelage du
sol refuse souvent la perspective, pour devenir une sorte de mur
quadrillé. Si une fenêtre se dessine, elle s' ouvre rarement sur le
bleu du ciel ou alors c' est un ciel méditerranéen à souhait, un
à-plat qui contribue à la banalité de la scène, un ciel
finalement dénué de vie. Nous sommes à chaque instant ramenés
vers le premier plan, mis, avec les personnages, dans une situation
d'enfermement, celui de la médiocrité sociale et existentielle (qui
s' exprime par exemple dans la cocotte en papier ) en face de
laquelle Alain Ponçon nous place sans acrimonie et sans révolte. Ne
faut-il donc pas aller plus loin et lire dans cette peinture la peur
inavouée de l' avenir, car les personnages, contraints au côte à
côte dans le présent (dans certains foules l' accumulation colorée
des visages rappelle les masques d' Ensor ) , sont tous dans une
attente figée de l' avenir. Avec une fausse naïveté, Alain Ponçon
nous met en face de notre condition à tous, à la fois volatile (
comme les collages-déchirures qu' il crée et qui ont la forme du
transitoire et du fugitif ) et angoissante, où, étant donné notre
destin commun, chacun est en quête de la chaleur d' autrui . Si,
dans son œuvre, Alain Ponçon reste pudique, il ne peut s' empêcher
parfois de dire tout cela plus ouvertement, c'est à dire sans se
cacher derrière le sourire de ses personnages, par exemple dans
certaines figures inquiétantes qui évoquent les couleurs et les
formes du vaudou, dans quelque visage surdimensionné et accablant
qui domine un sujet minuscule, le tout jouant dans le rouge et le
noir devant un ciel violet totalement fermé, ou dans un cheval
cramoisi qui attend d' emporter son cavalier vers l'incertain. Il
ressort de tout cela que la thématique fondamentale d'Alain Ponçon
semble être notre incapacité à agir sur le temps - passé,
présent, avenir - c' est à dire en fin de compte le jeu de la vie
et de la mort dans la succession des générations.
Jean-Pierre
Jacquet Commissaire au Conseil Supérieur des Musées
Francophones de Belgique - Texte de la présentation de l'exposition du
château de Chasselas
C'est celui qui écrit de la plus «primordiale» façon. Avec une écriture
venue immédiatement du fond des âges des hommes, avec des messages
ancestraux qui ont une puissance indicible tant par leurs couleurs que
les formes encore en pleine ébauche.
Qui pourrait ne pas voir là des figures de Cao au Portugal, ou de
celles du Tassili, ou des glyphes de Mésoamérique ...
Celles des abris ou des grottes, celles des mains projetées, des
chamans et des chasseurs. Celles des premiers signes pas encore
abstraits, mais si clairement ôtés du concret ordinaire pour faire
langage ! Échange de paroles implicites et de suggestions
liminales.
Ses personnages ébauchés mais vivant, éclatant
de vie, renvoient sans le moindre doute aux ancêtres, les premiers
Sapiens, les premiers à avoir la conscience de leur humanité, les
premiers à avoir communiqué par la forme la plus essentielle de
l'écrit, celle qui a précédé toutes les autres, celle qui, les mettant
personnellement en scène, les engageait sans doute le plus loin dans la
communication d'eux-mêmes, celle qui leur donnait le pouvoir tant sur
eux-mêmes que sur les autres formes de vie.
Le premier pouvoir essentiel est donné là : l'homme prend la parole par
son signe d'écriture le plus fondamental, lui-même.
Alain Ponçon ne se limite pas à cette écriture-là, non !
Regardez aussi ses cerfs-volants, autre langage, autre écriture bien
sûr. Car ces cerfs-volants eux aussi sont des écritures, des signes de
langage, des messages adressés au loin, au ciel peut-être, aux autres
hommes qui vivent sous des ciels d'ailleurs. Les cerfs-volants d'Alain
Ponçon ont ceci de particulier qu'ils sont eux aussi des figures
d'hommes, qu'ils donnent eux aussi l'homme lui-même comme porteur du
message. L'homme une fois encore ôté du concret pour donner le sens, la
direction de l'abstraction.
L'homme est le message, l'homme est
l'écriture, l'homme se dit lui-même comme au premier temps.
Gaëlle
Konak Poète, photographe, peintre (Regards, avril 2007) Les
cerfs volants
Vivre
et être humain. Telle est la tâche qui nous est donnée.
Ordonnée. Mais comment? Comment sortir de l’osmose et
accepter d’être seul? Comment faire semblant qu’on
durera toujours et prendre part à la partie qui est jouée
d’avance? Comment sourire et se lever et rester debout et
résister, résister à l’appel de la terre,
rester chaud et mouvant et vivant?
Leur
vie ne tient qu’à un fil. Leurs os et leur peau : des
brindilles et du papier. Le souffle de vie est imprévisible,
traître, subi. Leur existence, qu’un souffle dans le
vent. Ils volent follement, sans contrôle, sans but, sans aller
nulle part. Ils flottent et tournent quelques instants puis tombent
et se brisent.Il
n’y a pas de liberté -quelqu’un me retient, me
rappelle à la terre.I l
n’y a pas de sécurité -je ne suis qu’un
fétu de papier au bout d’un fil qui peut se casser,
retenu par un autre qui peut me lâcher.
Les
yeux des cerfs-volants ne regardent pas. Les sourires des
cerfs-volants ne sourient pas. Ils dérivent.
Ils
me parlent de l’effroi de devenir humain. Réaliser qu’on
n’a vraiment sa place ni en haut ni en bas, qu’on est
fragile et impuissant, qu’à tout moment on peut tomber
et qu’un jour on tombera. Alors on se colle un sourire de
papier mâché et on se barbouille les yeux pour maquiller
les larmes et la peur et la lassitude qui nous prennent alors, on
étend les bras comme un condamné et on laisse la brise
-ou la tempête- nous emmener en voyage. Pour oublier. Oublier
ce que c’est que d’être humain. (‘Ne me
lache-pas!’)
Ces
cerfs-volants ont également le “vrai” goût
de l’enfance qui est tout sauf l’innocente croisière
que l’on veut croire. Ils mélangent sans tabou le rêve
et le cauchemar, le jeu et l’angoisse, de toutes ces
turbulences auxquelles on doit faire face avant même de savoir
mettre des mots dessus (‘je suis là!’). Ils sont
lancés comme des appels à l’humour et au jeu pour
résister à la terreur et au désespoir. Fragiles
mais colorés, surchargés mais légers, les
cerfs-volants ironisent.
Ils
ne sont pas ce qu’ils ont l’air
Ann
Fischer, musicienne. Les jaunes d'Alain Musique composée en partie dans
l'atelier2007 Ecouter
Massin
est une figure emblématique de l'édition française et du graphisme
pendant un demi siècle. Membre de l'Alliance Graphique
Internationale,-
Membre de l'Académie Royale de Belgique Il a reçu lInternational Book Award
pour son action en faveur du livre et de la culture.
Visite de l'atelier 7 octobre 2006.
Dans
ces deux pièces qui donnent l'une dans l'autre, il y a des
tableaux partout sur les murs, et sur les tables, quantité de
feuilles non encadrées, comme si on attendait qu'elles fussent
sèches. Car c'est de la vraie peinture, dans tous les sens du
mot. Sans doute on y distingue des influences, parfois inattendues,
comme celle de Modi, par exemple, mais le plus souvent, on n'est pas
trop loin de Dubuffet ou de Chaissac. Or on voit que Ponçon a
bien digéré toutes ces influences, et que son œuvre
a pris un tour personnel, où l'angoisse le dispute à
l'humour, le doute à l'enthousiasme, la naïveté à
la science, la caricature à la tendresse. Et ce qui domine, à
coup sûr, dans ces explosions d'un tachisme éloigné
de tout système et de
toute
théorie, c'est l'accent de la sincérité, c'est
l'amour de la vie.
Gérald
Massé, écrivain,
journaliste, article dans l'écho Républicain du 24
novembre 2006
La
peinture d'Alain Ponçon interroge, amuse, séduit. Plus
on la regarde, plus on y trouve des choses, preuve de sa richesse et
de ses paradoxes...
Lucien
Laborde,- écrivain,
poète, peintre
(1923-1999). Extraits
d'un texte écrit en Janvier 1989
Pénétrer
dans l'univers d'un peintre tel qu'Alain Ponçon est une
aventure passionnante.
L'homme a le regard clair -
frappé
des fulgurations de l'espace et paradoxalement peut-être -
d'une persistante acuité.Et
voici déjà l'un des aspects essentiel de son œuvre.
Mais tout n'est pas si simple que pourrait le laisser entendre notre
propos. Il faut compter avec l'Angoisse. Car il n'existe pas de vraie
peinture sans l'intense angoisse de son créateur.
Plus
que tout autre, peut-être, Alain Ponçon connaît le
prix et le poids des questions qu'il se pose. S'il lui arrive de
céder à de fugitifs enthousiasmes, plus souvent il se
déchire et parfois se renie. Un brasier intérieur le
dévore.
Un
doute le mine. Et c'est au seuil du désespoir qu'il retrouve
brusquement audace et vigueur
Alain
Ponçon Texte autobiographique 7
septembre 2016
Depuis
l'âge de 45 ans, je suis en état d'urgence, face au
temps qui passe. Je travaille avec l'espoir désespéré
de réaliser “quelques belles toiles”.
J'utilise
l'acrylique pour les sous-couches et l'huile pour les couches
supérieures. Je n'ai jamais pu abandonner l'huile malgré
le long temps de séchage. Cette lenteur ne suit pas toujours
le rythme de la création mais permet le dialogue avec le
tableau.
L'origine
d'une peinture est complexe. Chaque peinture a son histoire. Mon
grand livre de toiles suit une chronologie imprévue,
chaotique, mais non dénuée de signification.
Si
je suis constant dans la durée, car je travaille simultanément
plusieurs séries qui s’étirent dans le temps, je
suis très différent au fil de la journée, car j’
ai besoin de ruptures et passe ainsi d’une toile à l’
autre.
Cela
commence par une envie qui se prolonge par quelques traces de fusain
que je dessine ou efface au gré de mon ressenti,
démarche déterminante pour la réussite de
l’ œuvre, puis je superpose les couches de peinture,
jusqu’à, parfois, saturer les couleurs.
Assis
dans mon fauteuil, je passe beaucoup de temps à écouter
mes peintures. dans un mystérieux échange. J'attends
qu'elles suscitent des envies, qu'elles m'aident à trouver une
nouvelle énergie, un nouvel équilibre sur la toile.
J'aime
faire un maximum de lectures de mes peintures ainsi réalisée,
sans refuser pour autant l’ ambiguïté .
Le
réalisation d'un tableau peut prendre plusieurs mois ou
quelques heures. Le temps ne fait rien à l'affaire.
La
technique en perpétuelle évolution fait partie de mon
plaisir d’artiste. Si je suis parfois porté par une
inspiration subite venue d'ailleurs, le plus souvent je besogne. Plus
je vieillis, plus je insatisfait, plus je puise en moi. Je me nourris de
nuages et de vent, de rencontres qui m’aident à
découvrir et à montrer l'humain ordinaire et
pourtant si extraordinaires porteurs de solitude, de tendresse,
d’émotions, de dérisoire de rêves, de
blessures connues et inconnues, tous soumis au temps qui passe.
Ainsi
se trouvent posés, les thèmes
sociétaux qui nous interpellent sur notre devenir incertain. En attendant je vais tous les jours à mon atelier.
Alain
Ponçon 2019
J'utilise l'acrylique pour les
sous-couches et l'huile pour les couches supérieures. Je n'ai jamais pu
abandonner l'huile malgré les longs temps de séchage. Cette lenteur ne suit pas
toujours le rythme de la création mais permet le dialogue avec le tableau.
L'origine d'une peinture est complexe. Chaque peinture a son histoire. Mon
grand livre de toiles suit une chronologie imprévue, chaotique, mais non dénuée
de signification, presque cohérente. Je travaille simultanément plusieurs
séries qui s’étirent dans le temps. Je suis différent au fil de la journée.
J’ai besoin de rupture, je passe d’une toile à l’autre selon les moments.
Cela commence par une envie qui se prolonge par quelques traces de fusain. Je
dessine, j’efface. Je superpose les couches de peinture jusqu’à parfois,
saturer les couleurs. Du fond de mon fauteuil, je regarde, j’écoute mes
peintures. Dans ce mystérieux échange naissent des envies, les énergies, les
équilibres précaires.
J'aime pouvoir faire un maximum de lectures de mes tableaux. J’aime les
ambiguïtés.
La technique est en perpétuel mouvement. Elle fait partie de mes plaisirs. Si
parfois je suis porté par une inspiration venue d'ailleurs, le plus souvent je
besogne. Plus je vieillis, plus je suis insatisfait.
Je me nourris de nuages et de vent, de rencontres. Je peins des gens ordinaires
extraordinaires. Je peins la solitude, la tendresse, des émotions. Je peins des
rêves, des blessures connues et inconnues. Je peins l’illusoire espérance qui
côtoie mon désespoir, la quête de l’étoile perdue, le manque.
Je peins dans l’ombre de ma grotte…
Textes
en version anglaise
Alain
Ponçon
He
was born in 1947 in Moigny, a village South of Paris which he left at
the age of 5 to follow his parents, both teachers from school to
school. Today he lives in Saint Maur sur Loir in the family house.
His
first exhibition took place at La Ferté sous Jouarre in 1971
and was soon followed by many more. In
2003, inspired by Jung’s work on ‘Synchronicities’,
he created ‘Synchronicales’, a group of artists who
started exhibiting across France and Europe in a number of places of
historical and artistic significance.
The
range of feelings that Alain Ponçon expresses are lovingly
conveyed by characters reduced to primitive shapes. His technique is
unconstrained and freely adjusts to the need and desire
of the
painter who plays with his medium with unmistakable pleasure.
Self-admittedly
his inspiration comes from the German Expressionists but one will
also find evidence of some influence by the School of Paris, a hint
of Pop Art as well as Art Brut, to which Alain has added his own
pinch of poetry.
As
a multi-faceted artist, Alain plays with ambiguities, the comings and
goings from imagination to reality and their sometimes unclear
boundaries. It’s the quirky look of the tightrope walker which
evokes emotion, reflection, introversion and irony. He lives in
urgency.
Alain’s
approach draws from concepts deriving from the unintentional, the
accidental and the Poor Man’s art. His work is also a
narrative, this time without any
Traduction
Maï
pour
mini cv 2009
To
live and be human. Such is the task we are given. Imposed. But how?
How to break from the primitive osmosis and accept to be alone? How
to pretend and believe that we are going to last forever and take
part in a game already decided? How to smile and get up and stand up
and resist the call of the earth? How to stay warm and soft and
moving when everything is pulling you down to immobility,
horizontality, neverending cold?
Their
lives are hanging by a thread. Their bones, their skin: just twigs
and paper. The breath of life is unpredictable, unreliable, suffered.
Their existence, just a breath in the wind. They flutter madly,
without control, without purpose, without going anywhere. They float
and spin for a while then fall and break.
There
is no freedom –someone’s holding me back, tying me back
to the ground.
There
is no security –I’m but a piece of paper depending on a
line that can break, on another who can let me go.
The
eyes of the kites do not look. The smiles of the kites do not smile.
They drift away.
They
tell me about the terror of becoming human. The realisation that we
belong neither above nor below, that we are fragile and helpless,
that we can fall anytime and that one day we will. So we stick a fake
smile on our faces and smear our eyes to desguise our tears, our fear
and the weariness that submerge us; we spread our arms wide like a
convict and let the breeze –or storm- take us on a journey. To
forget. Forget what it is like to be human. (‘don’t let
me go!’)
The
kites also taste of childhood. The ‘real’ taste of
childhood which is anything but the harmless, innocent cruise we lead
ourselves to believe. Freed from any taboos, they blend dream and
nightmare, playfulness and angst; and all tell me about all these
turbulences we have to face even before knowing how to put words on
them (‘I’m here’). They are thrown like callings
for humour and levity in order to resist terror and despair. Fragiles
but colourful, heavy-laden but light-hearted, the kites play with
ambiguity and irony. They are not what they seem.
Gaëlle
Konak
(
Regards, avril 2007) - Peintre,
photographe et
poète traduction par
Gaëlle Konak de son texte en anglais les
cerfs volants
A quirky look on things, forever hovering between dream and
reality through irony and tenderness
Alain Ponçon was born in 1947 in Moigny, a village south of Paris which
he left at the age of 5 to follow his parents, both teachers, from
school to school. Today he lives in Saint Maur sur Loir in the family
house.
His first exhibition took place at La Ferté sous Jouarre in 1971 and
was soon followed by many more.
In 2003, inspired by Jung’s work on ‘Synchronicities’, he created
‘Synchronicales’, a group of artists who started exhibiting across
France and Europe
Alone or with these different groups, Alain Ponçon has exhibited
in Europe, in Brazil, China, Los Angele….
The range of feelings that Alain Ponçon expresses are lovingly conveyed
by characters reduced to primitive shapes.
His technique is unconstrained and freely adjusts to the need and
desire of the painter who plays with his medium with unmistakable
pleasure.
Self-admittedly his inspiration comes from the German Expressionists
but one will also find evidence of some influence by the School of
Paris, a hint of Pop Art as well as Art Brut, to which Alain has added
his own pinch of poetry.
As a multi-faceted artist, Alain plays with ambiguities, the comings
and goings from imagination to reality and their sometimes unclear
boundaries. It’s the quirky look of the tightrope walker which evokes
emotion, reflection, introversion and irony. He lives in urgency.
Alain’s approach draws from concepts deriving from the unintentional,
the accidental and the Poor Man’s art. His work is also a narrative,
this time without any concept, a poetic voice growing ever stronger
with each piece.
|