A la manière de …
Difficile de parler de soi… Le piège du miroir ! Pas se voir et pas se montrer.
Faire le sioux, porter le loup, jouer du masque et de la grimace, pousser des cris et des
silences, suggérer, imposer, démener le beau diable par la queue pour le chaland qui
passe.
De toutes façons j’aurai dû y passer au départ, j’y suis arrivé par le fion,
complètement de travers la tête sur l’épaule, le torticolis congénital et la
pleurite bacillaire. L’hosto déjà !
On va dire ça commence mélo, moi je m’en fous, c’est comme ça qu’on
m’a raconté, j’ai aucun souvenir… Probable que la maison Freud et Cie qui
a un avis sur tout expliquerait mon présent par ma sortie du bocal pas bien.
3, 4, 5, 6, 7 ans, les souvenirs mieux filmés, déjà longs métrages, la guerre, des
bombes qui font boum !, des avions grogneurs de nuit, des sirènes resplendissantes,
le si beau ciel moucheté blanc des D.C.A. Je lisais Zoro dans la classe à papa. Sous ma
chambre les rangées de bureaux des élèves. A la fin à la place des gosses des FFI sur
la paille, dans l’école et moi au milieu des fusils aussi couchés sur la paille. Je
jouais avec les jolies balles de cuivre pointues comme des suppositoires…
L’aventure quand même à portée de la main...
Transhumances pédagogiques, écoles, l’une après l’autre.
9, 10, 11, 12, 13, la forêt de Fontainebleau, mon frangin au berceau, pas encore joueur
de billes, les premiers potes, les premiers vrais, les filles aussi, Mariette surtout, ça
me gonfle Mariette qu’elle soit aux fleurs de la Toussaint. Elle avait vu comme les
autres comment la métaphore m’explosa au pif… En rédac j’étais plutôt
bon, la preuve j’y décrivais l’animal hippogriffe façon naturaliste :
« Les chevaux ont des couilles de soie noires cousues sur un ressort à
boudin » ça me paraissait naturel et ravissant ma comparaison, jubilatoire en
plus ! L’instituteur, mon père laïc pur-dur, m’a cogné en public, moins
que rien ma rédac, poubelle!
C’est comme ça que j’ai commencé à écrire pour écrire, chercher le beau des
mots, futur prix Goncourt déjà ! Je raconte dans un bouquin : « Cour des
Filles » Mariette, les mômes, l’école, les instituteurs, la famille,
l’après-guerre, la forêt, Cocteau Jean… 7
coquilles dans la 1ère demi-page, pas brillant l’éditeur ! moins
que rien mon bouquin, poubelle !
« Si t’es écrivain t’écris » c’est Louis Nucéra qui m’a
dit ça un jour… 15 livres quand même maintenant...
Bon, le collège, Penscot à Malesherbes. Tribulations jusqu’à ce que notre mère
elle aussi laisse la place somme toute, du côté de Noisy-le-Grand… remariage. A 17
ans je me suis tiré et laissé le petit dans le jus de la solitude…
Libre. Dans le gros boudin noir plein de lumière de Paris, j’ai dormi de ci, de là
et noirci le papier par ci, par là, mais pour l’essentiel : claper !
Malgré quand même encore un peu d’école de droit et du Louvre, la Bouffe surtout
le jour, la nuit les boulots de bouffe. Mon pote Serge Thémire le guyanais jouait
Beethoven...
L’Algérie ? Le beau pays, j’ai visité le bordel de Tlemcen encore 19ème
siècle, fauteuils et lourdes tentures rouges, les cellules des BMC façon système
taylor, rondilisé, maîtresse et sous-maîtresses au bout du grand hall sur une estrade
comme des maîtresses d’école, au suivant, et à Tiaret la mère maquerelle Kabyle
matait l’arrivant derrière le judas d’une porte d’olivier épaisse comme
une solive, fallait la bonne gueule pour entrer au sérail et découvrir le cérémonial
dans le patio sous l’étoile, les unes, les autres, la targuie, la Berbère, la noire
sénégalaise, tout le monde en tailleur, assis, des heures à dire, s’apprivoiser
avant tout, et enfin le thé sur la chaufferette au bord de la natte, sur le sol,
derrière le rideau. Pas que ça bien sûr l’Algérie, les orangeraies de Mostaganem,
les oliviers, les vignes de Mascara, Oran, El-Aricha grande plage de pierres et la
« mils » piégée au coin de la rue, balle perdue dans l’oreille et un
soldat perdu dans l’alfa… Chaque dimanche, la place à l’espagnole,
va-et-vient compassé ; Juifs, Arabes, Italiens, Français, Espagnols, Gitans. La
famille Hernandes je l’ai vue tout début à Mascara...
Ça me fout les boules. L’Algérie qu’est-ce qu’ils en savent les débiles
qu’ont pas chié dans leur falzar à l’époque et qui se font médiatiques au
scandale de ceci, de cela, qu’est-ce qu’ils en savent de l’Algérie ?
et les autres débiles, c’est pas pour la liberté qu’ils font l’exaction,
la tuerie et le désespoir, c’est pour l’Allah, ha la la qu’est-ce
qu’ils en savent ?
Je me souviens, l’hôpital de Bel-Abbés, mon voisin de plumard, il me parlait
colonisateurs, liberté et moi je lui répondais qu’est-ce que tu branles dans le
plumard des affreux pendant qu’un bas dans la courette on présentait les armes à
une boîte de sapin avec un drapeau dessus.
Con de nous, con de moi...
Force des choses, le retour Paris vivant : train, métro, manif et boum boum MNA et
FLN… Normal tout ça, étrange quand même ce retour comme à l’étranger.
Pour le notariat c’était râpé, trop cher l’office, pas encore associés les
ministériels officiers. J’ai tapé dans l’administration, sollicitde leur
haute bienveillance. C’est la régie des eaux de Paris qui a gagné le ponçon :
plume sergent-major, mouillette et grattoir… Pas plutôt entré déjà sorti :
tubard excavé ! cure numéro un au grand hôtel des poitrinaires.
Le sana, délicieux séjour ! Club Mes des glavioteurs, l’Alphonse Bourdard
villégiaturait déjà en résidence surveillée, Michel on l’appelait, de son vrai
nom, grand, beau mec, les éponges mitées à mort, le pneumo, la gonflette tous les
quatre matins. Déjà mon pote, de 1960 à nos jours comptés. Pour lui je fais dans le
syncopé. Le style nouveau, vulgaire, trivial ; une sorte d’accolade,
d’hommage posthume, parole et musique, maintenant qu’on n’a plus le
téléphone ni la mère Denise, ni les rancards d’un petit rade à confidences…
Au sana, mystère des rencontres, on était 5-6 copains : Yves, l’abbé Auriau
toujours en odeur de sainteté, genre Pierre l’apôtre, Goulette mon voisin de
piaule, Rat le super sportif, Pointis pointure de chez Dargaud, Chaillon aussi, et Delno
vieux génial, florentin jusqu’au bout, le paradoxe toujours à la bouche, comme une
fleur.
Une bande quoi, glavioteurs d’unique hasard.
Après j’abrège, de Séville à ma
douce, à ma patiente Fanfan, j’ai fait en 24 heures le voyage et puis des enfants,
des maisons ; trains du matin, durs du
soir, encore toujours le même wagon tous les deux !
L’Alphonse lui, la métaphore, la revanche, la gloire, c’était l’époque
de la « Lanterne Magique », mais nous et moi j’étais pas trop
coquetèle, plutôt famille. Famille c’est comme ça que c’est arrivé
l’éditeur, je pissais la ligne à l’heure perdue, quand mon frangin le peintre
de la page d’à-côté a lancé l’aventure aux pas de l’oie :
« Les Hauts du Loir » préface Alphonse Boudard, puis le « Mercelot
d’Adélaïde », colporteur. Maintenant je m’avise « la
Braconne », « Revenir à Malassise », « Cour des
Filles », « Le Fantassin d’Argile », même le
« Marinier », « La peine à jouir » et « Le dernier porteur
d’eau », tous marginaux, errants, nomades, les héros de mes livres. Je
subconsciente du voyage, départs, retours ! paradoxe pour un mec qui racine farouche
dans le Dunois… Mes potes, les autres, Nucéra (salut Louis), ADG lui aussi par les
racines maintenant, Cérésa, Boutet, Coffe, pas tous les citer, les fous des livres et
les autres, les mongoliens du dessin, les artistes du coup de crayon, Jacques, Michel,
Piem, Mose, Trez ; rencontres, pas tous les citer non plus, feux follets du cinoche,
Perrin, Guybet, comme au théâtre les portes claquent, ça va, vient, disparaît.
Dur le paradoxe, l’équilibre fil de
fer : faire public sans s’aliéner à l’icône, à l’idole, à
l’apparence, à l’absolue certitude… Quand je dis les cons, c’est les
fiotes du dernier mot que je veux dire, les grognasses du tout savoir qui me spiralisent
violent les neurones, les bouffées de certitudes…
Manie, maladie, toujours fourrer mon blaire dans le trou des contemporains, sorte de
savoir plaire ? va savoir ! ouvrir sa gueule lâcher le fromage, pure
perte !
L’essentiel quand même, Lola,
Maël, Trystan, les héritiers, les enfants de Fanfan ma tulipe, le champ devant ma
fenêtre et privilège exorbitant, je disais ça ailleurs, de l’écrivain de vivre
plusieurs fois une seule vie. Pour ça j’ai le don marin, le sac à quai, je cherche
l’embarquement jusqu’à ce que mort s’ensuive. |