Nous avions dans
l’école un tour de service ; un garçon, une fille. Le hasard me fit faire
équipe avec Mimi Michon, une fille du Rouvre. Pendant une semaine je devais, après la
classe, balayer entre les rangées, ramasser les papiers. Il fallait d’abord aller
avec le seau jusqu’à la pompe chercher l’eau, tourner la roue puis remplir une
boîte de fer percée d’un trou avant de dessiner sur le plancher des arabesques
compliquées pour éviter que le passage du balai ne provoque un nuage de poussière. Avec
ma boîte à la main, je m’appliquais à faire courir sur le plancher des billes
d’eau en ronds aussi réguliers que possible et profitais de mon passage à côté de
Goubé pour arroser ses godasses. Mimi, comme une vraie petite femme, prenait le relais et
poussait le balai, avec application, jusqu’à la pelle qui l’attendait près de
la porte du vestiaire.
Dès le premier jour, poussé par ma soif d’aventure, je décidai de
l’embrasser. Elle était suffisamment grande pour que je fasse une tentative sans
déchoir. Je m’appliquais en effaçant le tableau à ne pas prendre d’avance sur
elle. J’allais consciencieusement secouer mon torchon, dans un nuage de craie, sur un
poteau du préau. Plus je l’observais, plus elle me paraissait jolie. Ses genoux de
gamine s’arrondissaient, son tablier se tendait sur sa poitrine et ses yeux bleus me
souriaient gentiment. Malgré mon appréhension naissante, tout me disait qu’elle
pouvait être à la portée de mes avances. Je n’avais jamais été de corvée avec
elle, sa route partait au nord vers le hameau du Rouvre, la mienne montait par le
sous-bois vers celui de la Touche. Sans ce balai de bouleau tout neuf qu’elle
poussait devant elle, j’aurais sûrement cherché ailleurs à faire mes débuts de
séducteur. Penché sur sa table, trop petite pour lui, Goubé suçait goulûment son
crayon au-dessus d’un problème apparemment sans solution. Dans la classe, ses
reniflements, mes chuchotements avec Mimi, les coups de balai résonnaient entre les murs
vides...
Mon cœur caracola quelques instants mais tout se passa très vite et très
simplement. Dans le vestiaire, au moment où elle allait prendre sa veste, je lui attrapai
la tête et posai violemment mes lèvres sur les siennes. Nos dents se heurtèrent.
Sans cri, sans se débattre, Mimi passa ses bras autour de mon cou et sa langue vint
rencontrer la mienne, doucement sans précipitation. Après quelques instants de ce
premier baiser, nous décidâmes de nous donner un baiser d’adieux. C’est le
moment que choisit Goubé pour sortir. A vrai dire, c’est aussi ce que
j’attendais. Il ne me suffisait pas de tourner autour de lui pendant la corvée, je
lui démontrais que mon charme pouvait aussi ravager les cœurs de nos équipières de
classe. Je laissai Mimi s’éloigner sur la petite route... |