Mon
Père
Père - mon père - où
veilles-tu ?
Au matin du monde à refaire
ton baiser longtemps suspendu
glissait sur mon oreille neuve
et je remontais ébloui
à la surface du sommeil.
Le volet s'entrouvrait sur
des ronces noyées
Père - mon père - où
marches-tu ?
par la saison des coqs rouillés ?
Sur quels tapis de lycopodes ?
vers quelle enfance aux antipodes
pour quel amour d'Océanie ?
Père - mon père - où
neiges-tu ?
dans cette absence sans limite ?
Quelle présence inventes-tu
pour briser la mort trop étroite ?
...
Je te rencontre chaque soir
à la lisière de mes bois.
... On dit : c'est un oiseau de soie
ou le remords... ou la rancune...
qui grattent l'ombre des greniers...
... Mais je souris entre mes doigts.
Nous sommes seuls à nous
connaître.
C'est toi qui viens marier
au cantique de lune
le violon de Chagall oublié sur le toit. |
Personne
ne sait
Personne ne sait
nul n'entend
qui me vient voir
à cette heure oubliée
qui chuchote dans le verger
avec le dessein d'écraser
son visage contre ma vitre...
à cette heure - fière inconnue -
à cette heure - fille soumise -
projetée sous les réverbères
parmi les déserts de la rue...
... qui vient
recule
affole ma chandelle
l'élargit sur le mur de plâtre
de buvard
prête une âme au stérile
et m'abandonne
hagard.
Personne ne sait qui me
vient
m'appartient sans se dévoiler
me condamne
me crucifie.
Interrogez les tapis
les tentures
et sur la porte verrouillée
le bec stupide du canard...
... personne n'a vu
nul ne saura rien
quand les brocs du matin
tinteront dans les cours.
...
Mais je soupçonne un vieil amour... |
Le
mal végétal
Que ceux qui n'ont jamais
souffert
d'un mal végétal de chou tranché
d'une angoisse cristallisée
de sucre ou de sel
d'une cassure de silex en pleine rotule
que ceux qui n'ont jamais
été fusillés
avec les murs à l'aube
qui n'ont jamais levé leurs cris leurs mains
comme un épi debout sur les épis fauchés
que ceux qui n'ont jamais
senti
le poids impossible à mouvoir
du corps dans les prisons de lune
que ceux qui n'ont goûté
l'horreur
de sombrer sous les vagues
dorment
roses replets stupides
la vanité chatoyante dans l'oeil
sur le rivage du grand lac
frémissant à plein ciel !
Que ceux-là restent à la
porte
absents de la haute espérance !
Sans eux nous porterons la
Terre
aux lèvres du soleil
à la santé des vendangeurs ! |
Mes
arbres
Mes arbres abattus
mes oiseaux crucifiés
mes places sans statues
mes soleils sans été
le creux du bronze aux
cloches
et son âme aux canons.
Un fleuve à noyer mon
enfance
mon chien fidèle
mes remords
Attila et les viandes crues
montant la garde à mes frontières
mes grands morts allongés
dans l'herbe
mon ciel récitant des
proverbes
mes enfants affamés
mes filles sans amour
mon coeur qui voulait battre
au-delà de vos guerres
fusillé sur le mur de plomb
La peur des gifles sur les
toits
la peur du sable entre les doigts
mille et trop de raisons de
me pendre aux patères
...
si l'eau de source ardente et fière
si l'eau de Médicis
obstinée de lumière
n'était venue à mon secours. |